Au nom du père, du fils et de… l’artiste !
En 1941, quand tout manque dans la France occupée, Gervais Leterreux, alors qu’il n’a que onze ans, commence déjà à peindre en « grattant les fonds de pots de Ripolin et en les mélangeant avec des poudres ou des tubes de peintures récupérés à droite ou à gauche ». Deux ans plus tard, avec des moyens de fortune, des clous et trois bouts de bois, il construit son premier chevalet. Si ce n’est pas la rage de peindre, cela y ressemble bien.
En 1944, Henri de Saint-Delis remarque que le jeune Gervais Leterreux a un « bon coup de crayon ». Très souvent, le vieil homme à la barbe blanche et l’adolescent s’installent, côte à côte avec leurs chevalets, sur les quais de Honfleur. Gervais Leterreux n’oubliera jamais les conseils du maître. « Cela commençait généralement par un compliment et puis après il ne se gênait pas pour dire ce qui n’allait pas ». Dans la cité des peintres, cela s’appelle « la courte échelle honfleuraise ».
Pour ma part, j’ai toujours été frappé, pour ne pas dire sidéré par un tableau de mon père peint en 1945, alors qu’il n’avait que quinze ans. Il représente l’entrée du port de Honfleur, avec la jetée de bois aujourd’hui disparue. Il est d’une incroyable maturité. Il a dû être touché par la grâce ce jour-là ! C’est un peu comme s’il avait été peint par un artiste au soir de sa vie. Regardez-le bien, il est dans cette exposition à Condé-sur-Noireau. Vous partagerez sans doute mon avis.
Enfin, je n’oublierai jamais une leçon de perspective avec mon père. Je n’avais pas dix ans. Il a renversé une boîte de cubes sur la table de la cuisine et m’a dit : « vas-y amuse toi ! » Avec les lignes de fuite et les ombres portées qui partent dans tous les sens, autant vous dire que c’est plutôt formateur ! Le dessin, la base de tout, et le sens de la composition sont omniprésents dans l’oeuvre de l’artiste honfleurais.
La première rétrospective digne de ce nom dédiée à Gervais Leterreux est organisée dans la cité natale de Dumont D’Urville, dans l’espace musée Charles Léandre. Mon père avait une certaine admiration pour l’explorateur et le caricaturiste. Il en parlait souvent. Merci à la municipalité de Condé-sur-Noireau et à sa dynamique équipe pour cet hommage rendu à mon père.
Frédéric LETERREUX
NOTICE BIOGRAPHIQUE
Gervais Leterreux naît rue Eugène Boudin à Honfleur, le 1er décembre 1930. Son père est le patron d’une entreprise de peinture en bâtiment, et c’est tout naturellement que le jeune garçon manie très tôt pinceaux et couleurs.
Dans le Honfleur de cette époque, berceau de vrais peintres, Gervais Leterreux a la chance de grandir aux côtés d’Henri de Saint-Delis, voisin de ses parents. En 1945, le vieil artiste devient le professeur de Leterreux et, souvent, ils poseront leurs chevalets côte à côte dans les rues de Honfleur.
Sur les conseils de son père, Gervais Leterreux entre dans une école d’apprentissage à Douvres-la-Délivrande, puis à l’école de la décoration de Reims où il apprend le métier de décorateur mural et de peintre en lettres.
C’est un peu plus tard, lors de son service militaire qu’il suivra les cours de l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen.
En 1950, il ouvre une galerie en compagnie de son ami Bernard Loriot. Ils y présentent leurs propres œuvres.
S’il peint quelques bouquets et quelques natures mortes, Leterreux est avant tout un peintre de paysages qui aime travailler sur le motif.
« Il n’était pas forcément un peintre de beau temps » dit son fils Frédéric. Et Leterreux, il est vrai, est un artiste tout terrain, aimant la pluie, le vent et surtout la neige.
Membre fondateur de la Société des Artistes Honfleurais (depuis 1948), Leterreux est également un fidèle du Salon des Artistes Bas-Normands. Il est fait Chevalier dans l’Ordre des Arts et Lettres en 1976. Il s’éteint le 7 mai 2003 à l’hôpital d’Équemauville près de Honfleur.
Eric LEFEVRE
Extrait de « Artistes contemporains en Basse-Normandie »
Conseil Général du Calvados, Direction des Archives Départementales
illustrations :
Sortie du port de Fécamp 1976, huile sur toile, coll privée
Neige à Honfleur 1953, huile sur toile, coll privée
Etretat 1950, aquarelle, coll privée